mardi 11 juin 2013

L'Ange du Bizarre, Le Romantisme Noir de Goya à Ernst - Musée d'Orsay, Paris





Cet "Ange du Bizarre" était sans contestation possible l'une des expositions les plus attendues de cette année 2013. Empruntant son titre à un conte fantastique d'Edgar Allan Poe, traduit par Baudelaire, elle se présente de manière thématique et retrace ce courant noir, commun à de nombreuses périodes de l'histoire de l'art, que ce soit en peinture ou en sculpture, qui a attiré bon nombre d'artistes. Cette fascination des ténèbres, des sorcières, des villes mortes et autres paysages inquiétants, a toujours été une réponse aux inquiétudes du quotidien, par la force de l'imaginaire. Ce romantisme noir est ici retracée sous trois périodes, de sa naissance, à la fin du 18ème siècle, aux mutations symbolistes du 19ème, et pour finir, la redécouverte surréaliste du début du 20ème. Un sombre voyage des plus envoûtants!




C'est paradoxalement au siècle des Lumières que remonte les premiers signes de noirceur. La cassure engendrée par la Révolution Française s'est ressentie dans l'Europe entière et ouvre l'esprit des penseurs. Elle ébranle la Raison, et éveille la curiosité de certains artistes, élargissant ainsi leurs modèles de représentation. Delacroix, Blake ou encore Bouguereau, pourtant connu pour un plus grand classicisme, s'inspire de Dante ou de Milton, Füssli peint "Le Cauchemar", et Goya reconsidère tout son art. Le satanisme, la torture, mais aussi des sous-entendus plus érotiques, imprègnent une certaine frange artistique de l'époque jusqu'à devenir un courant majeur. Même la représentation des paysages est touchée, et les romantiques allemands que sont Caspar David Friedrich ou Carl Friedrich Lessing dépeignent des paysages lugubres ou des endroits isolés, inquiétants.




La deuxième partie de l'expo montre les mutations symbolistes lors de la deuxième moitié de 19ème siècle. L'origine est encore sociétale, les troubles engendrés entre autres par la guerre de 1870 influencent à nouveau les courants artistiques. Le monde s'est modernisé, les références littéraires et philosophiques sont encore plus poussées, engendrant un pessimisme inquiétant. Artistiquement, on assiste à de forts partis pris, a l'instar de Munch par exemple, tout en étrangeté. Les paysages sont souvent nocturnes, comme Jozsef Rippl-Ronai ou le superbe "Digue, la Nuit" de Spilliaert, à l'ambiance proche des Noirs d'Odilon Redon (que l'on retrouvera d'ailleurs également).




Un personnage mythologique est fortement présent dans cette partie, il s'agit de la Méduse. De l'hypnotisant bouclier d'Arnold Bocklin à la "Victime" de Gustave Moreau, comme une introduction à l'un des thèmes récurrents de cette période. La Mère-Nature et la femme sont deux symboles déchus, perçues par certains comme des forces destructrices, dont il faut se méfier plus que tout. Les mythes de la sorcière ou du vampire reviennent au premier plan, chez Munch et ses baisers par exemple, qui invitent à différentes interprétations, ou encore chez Moreau, avec cette impressionnante "Apparition".




Enfin, la dernière partie de cette rétrospective nous enverra au 20ème siècle avec la redécouverte du romantisme noir par les surréalistes, et de l'anticonformisme et du contraste de ce courant. Des  éléments qui correspondent parfaitement à l'état d'esprit moderniste de Dali, Ernst ou Masson. C'est peut-être la partie de l'expo que j'ai le moins aimé, non qu'elle ne soit pas intéressante, bien au contraire. L'évolution de la noirceur, en lien avec l'absurdité de certains aspects du quotidien (guerre de 14-18), est parfaitement représentée. Mais c'est le nombre d'oeuvres qui pêche, bien moindre que les autres périodes. Plus personnellement, je n'ai pas été touché par les tableaux de Max Ernst, ce qui a un tantinet réduit l'intérêt de cette salle unique. Heureusement compensé par deux très belles peintures de Paul Klee, un "Sans Titre" et "Les Fleurs de Grotte" pour terminer l'exposition.


Entre chaque période de l'histoire, le cinéma est mis à l'honneur avec des extraits vidéos des débuts du cinéma d'horreur. Les premiers grands classiques du cinéma d'horreur que sont "Dracula" ou "Frankenstein", font écho à la thématique cultivée par ces peintres et ces auteurs qui ont osé une autre représentation, plus libertaire, mais aussi plus sombre. Outre ces classiques horrifiques, "Rebecca" d'Alfred Hitchcock, "Les Trois Lumières" de Fritz Lang, ou un extrait du "Chien Andalou" de Dali, venant introduire le surréalisme.




En conclusion, je ne peux que vous conseiller cette superbe exposition du Musée d'Orsay. Et je ne suis pas le seul, car le bouche à oreille est excellent. En atteste la prolongation de deux semaines dont elle bénéficie. Initialement prévue jusqu'au 9 juin, vous avez désormais jusqu'au 23 juin pour lui rendre visite. Mais peut-être vous demandez-vous s'il faut être attiré par certains côtés sombres pour l'apprécier à sa juste valeur? Et bien pas du tout. Comme le précise les explications sur le premier mur de l'exposition, "L'incroyance n'empêche pas de céder aux séductions de l'art satanique". 



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