jeudi 14 mars 2013
Un Jour à Pompidou: Dali, Eileen Gray - Centre Georges Pompidou (Paris)
Entre Hopper au Grand Palais avant et le très attendu "L'Ange du Bizarre" à Orsay après, cette exposition Dali n'était pas ma priorité de ce début d'année dans ce domaine. Pourtant, il s'agit tout de même d'un évènement à ne pas louper. Conséquente, cette rétrospective nous propose près de 200 oeuvres et tableaux, de quoi passer un long moment avec ce génie fou qu'est Salvador Dali. Mais pas que, puisque le centre Pompidou a toujours cette excellente habitude de nous proposer un billet donnant accès à l'intégralité du musée, nous permettant de voir les expos annexes, souvent intéressantes. Comme autant de premières parties à un concert.
Et le premier artiste qui nous est présenté est Jesus Rafael Soto. Ce vénézuélien, qui se revendique autant artiste que théoricien, nous propose ses oeuvres déstabilisantes. Et quand j'emploie ce terme, je parle de sensations physiques. A l'entrée de l'espace qui lui est consacré, un panneau nous indique que certaines oeuvres peuvent déranger les personnes épileptiques... Dans la lignée de Malevitch, Soto ne jure que par les formes parfaites, notamment le carré. Il se veut également l'égal d'un scientifique dans ses mises en places cinétiques et ses recherches sur les impressions de mouvement. Ainsi mélange-t-il la peinture, le plexiglass et les volumes, notamment des tiges d'aluminium qui ne manqueront pas de vous déstabiliser ou de vous donner mal à la tête, jusqu'à son oeuvre la plus poussée, le "Cube Pénétrable", qui vous désoriente complètement lorsque vous y pénétrez, puis en ressortez. Pas forcément tout le temps graphique, l'oeuvre de Soto est toutefois fort intéressante, déroutante et son art, à l'intersection du visuel et du scientifique, est une excellente découverte.
Tout à côté, nous rentrons dans l'univers de l'artiste polonaise Alina Szapocznikow. Un univers particulier où l'obsession du corps est omniprésente. Il n'a pas un dessin ni une sculpture où n'apparaisse un organe ou une partie de notre anatomie. Ou de son anatomie en particulier, qu'elle aimait démembrer et mettre en oeuvre. Son travail, à la fois intime et interrogateur, nous est présenté par l'intermédiaire d'une centaine de pièces. Des lithographies en noir et blanc de ces débuts jusqu'aux sculptures colorées et presque surréalistes, Szapocznikow nous impose sa vision des corps, au point où son obsession nous apparaisse parfois comme un dégoût, tant la déformation du sujet finit par prendre le dessus sur tout le reste. Sans tout de même parler de malaise, je peux juste dire que je ne suis pas entré dans son univers. Certaines pièces sont très belles, comme son autoportrait en bronze recto-verso (ci-dessous) et l'exposition reste toute aussi intéressante à découvrir que celle de Soto.
L'autre exposition très attendue du moment à Pompidou, c'est la rétrospective sur l'artiste-décoratrice Eileen Gray. Cette irlandaise est devenu sur le tard une icône des Arts décoratifs. Malgré une période faste dans les années 20, où ses pièces de mobiliers, tapis et autres travaux de design d'appartement fûrent très demandés, elle tomba dans l'oubli dans les années 50, peut-être à cause de son indépendance d'esprit, refusant par exemple de suivre les traités d'architecture moderne de Le Corbusier. Redécouverte dans les années 70, et célébrée depuis, cet hommage est des plus qualitatifs et nous permet de nous rendre compte du talent de Gray. Dans les Arts déco, mais aussi dans certaines peintures, domaine qu'elle considérait comme distinct de son travail de designer, mais qui se révèle être d'une réelle beauté. Un très joli parcours dans la vie d'une référence des Arts décoratifs.
Et après ces quelques mises en bouches, passons au plat principal, Dali. Médiatiquement, cette exposition a su profiter de l'engouement d'Hopper au Grand Palais, complet assez rapidement. Pour les gens qui s'étaient mis dans l'idée de voir une exposition, Dali fût la parfaite alternative, suffisamment connu du grand public pour attirer les personnes qui ne font qu'une expo par an. A l'instar d'Hopper justement, exceptionnelle, il serait pourtant idiot de juger une expo que par sa couverture médiatique. Ne serait-ce que pour la quantité, plus de 200 oeuvres, la rétrospective Dali vaut le détour.
Commençons cependant par le gros défaut de l'exposition. Sa scénographie. C'est donc un vaste espace, et quand on y pénètre, on ne sait pas trop par où commencer. La construction par thèmes est relativement claire une fois que l'on s'est posé la question, mais elle n'est pas intuitive. De plus, à force d'enchaîner les thèmes, les dates se mélangent et on ne s'y retrouve pas dans la chronologie de l'artiste. Et j'ai trouvé ça d'autant plus problématique que Dali est un artiste tellement riche qu'il peut en devenir fouilli. On finit par prendre les oeuvres les unes après les autres, sans construire de schéma relatif à sa carrière.
Ceci étant dit, on peut essayer de rentrer dans le monde surréaliste de l'espagnol. Et là, on ne peut qu'être impressionné par le détail de ses tableaux, dans la précision technique ainsi que dans la quantité d'information. On pourrait rester des minutes entières à décortiquer, à voyager dans les différentes strates d'une seule de ces oeuvres. Tout est d'une richesse rare. Dali est connu pour ça, il est aimé et détesté pour cet onirisme, cet excentrisme, pour ce génie autoproclamé, pour ses idées et ses représentations inédites, notamment à son époque. J'aimais beaucoup Dali il y a quelques années, notamment pour son sens de la provocation, cela m'est passé, mais il faut reconnaître que nombre de ses tableaux sait nous transporter là où personne n'a su le faire. On dépasse le cadre du simple dépaysement puisqu'on oscille ici entre le voyage intérieur et le changement de dimension. Un autre monde, à la fois fou et ultra coloré, et d'une précision, encore une fois, qui nous fait douter de la réalité.
Les défauts de cette créativité hallucinée et hallucinante, c'est cette impression de grand n'importe quoi. Ce n'importe quoi n'altère en rien la cohérence artistique du peintre espagnol et on ne pourra ainsi jamais le lui reprocher, mais tout de même, il y a des moments où l'on se demande où il va. Cet as de la provocation saura se jouer de nous comme il savait à l'époque se jouer des médias, mais cette "nouvelle objectivité" peut créer une distance entre lui et les personnes qui regardent ses tableaux. Là non plus, ce n'est pas une critique, mais j'avoue que j'ai parfois été insensible à certaines peintures ou à des sculptures un peu plus théâtrales, comme le "Veston Aphrodisiaque". La quantité sera du coup au service de la qualité, puisque l'on retiendra surtout le nombre de pièces devant lesquelles on reste béat, et que l'on pourrait décortiquer ou admirer des heures durant.
Je ne suis donc plus un grand fan de Dali depuis quelques années maintenant, mais je ne regrette pas cette journée passée à Pompidou. Outre les expositions annexes tout à fait intéressantes, cette rétrospective Dali est à voir absolument, malgré une scénographie un peu bizarre, mais peut-être, après tout, en rapport total avec la non rationalité de l'artiste. Certaines oeuvres sont à voir à tout prix, et la richesse et la précision en fait la référence incontournable du surréalisme. L'exposition se termine le 25 mars et est déjà complète en réservation. Mais n'hésitez pas tout de même à tenter votre chance sur place, des nocturnes exceptionnelles étant mises en place chaque jour jusqu'à 23h (dernière entrée à 22h si je ne m'abuse). Cela en vaut la peine!
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